Belle Pivoine
© 2001 Danka Schweizer
Cette histoire se passe bien évidemment sur une île lointaine, perdue comme il se doit en plein océan. Une île merveilleuse bordée d’un large ruban de sable chaud et fin et baignée d’un profond lagon couleur émeraude abrité derrière le fameux récif de corail. Le ballet des vagues océanes qui viennent s’y briser en gerbes couleur écume, se donne en spectacle, sonorisé d’une musique sourde et profonde de tambour. Une île de toute beauté, comme vous pouvez l’imaginer, aux couleurs extraordinaires et fabuleuses. En un mot commençant : le paradis, n’est-ce pas ?
Et au milieu de ce véritable jardin céleste se trouve le massif des Pivoines qui, au gré des brises du large, se balancent en une danse ondulante, libérant ainsi leurs senteurs suaves et enivrantes comme toutes les pivoines exotiques. Faites maintenant un zoom avant, sur celle dont la couronne aux mille et un pétales de nacre blanche moirée se penche allègrement vers ses compagnes de logis, et autour de laquelle tourbillonne un nuage voltigeur d’hôtes de l’air de tout genre et de tout poil. Vous la voyez bien ? C’est son histoire que je vais vous compter aujourd’hui. Car il faut le savoir, avant d’être Belle, heureuse-épanouie que vous constatez, mon héroïne du jour ne l’a pas toujours pu. Eh non ! Même au paradis, on peut avoir des soucis ! Ecoutez plus tôt …
Miss pivoine est née un jour dans la famille Pivoine, l’une des familles à pétales qui sait-tant le plus de l’île, vous vous en doutez bien. Vigoureuse et pleine de vitalité, elle grandit rapidement à l’abri des siens. Une fois devenue adulte, sensuelle et romantique comme toutes les pivoines, elle tardait toutes les fois dans son éclosion naturelle qui n’attendait qu’elle. En effet, elle restait en ce tant-là dans l’ombre des autres comme beaucoup et malgré leurs nombreux appels encourageants, ses pétales restaient enfermés. Bien sûr : jamais une pivoine ne peut saitpasnouir en restant abîmée du soleil ! Pourtant tout le monde le sait, n’est-ce pas ? Mais… ce qu’elle redoutait haut-dessus de tout, c’était la visite-surprise très bruyante volubile agressive et inquisitrice des hôtes de l’air toujours forts agaçants, vous pensez bien, et particulièrement tous les insectes. Ils ont la fâcheuse habitude bien connue d’envahir les corolles fleuries, dont celles goûteuses des pivoines, sans se gêner de laisser souvent des traces indésirables sur leur passage… Donc cachée vaut mieux ! et on la surnomma « miss » .
Seulement vois-là : à rester ainsi au fil caché dans son coin, miss ne pouvait sousrire – pardon – s’ouvrir ni à la lumière, ni à la délicieuse chaleur des rayons de soleil ni, et plus encore, participer aux conversations animées intarissables, aux jeux aériens de haute voltige, à la gaieté et aux éclats de rire communicatifs auxquels toutes ses compagnes – et comme toutes les pivoines d’ailleurs – s’adonnaient avec une évidente jubilation chaque jour avec ces mêmes clowns ailés ! Vous voyez ce que je veux dire… Et ce qu’elle vit la tira si bien qu’un beau jour, n’y tenant plus, elle s’osa : elle fit des coudes avec sa tige et ses feuilles et ce faux fil là vers l’avant. «Oui, mais pas trop… quand même, se dit-elle, on ne sait jamais !» Et en quelques minutes, elle s’y trouva. Elle risqua un pétale à droite, un pétale à gauche…rien. «Ouf ! soupira-t-elle de bonheur, je vais enfin pouvoir découverturer mes pétales encore mais-connus à l’air libre.»
Mais le bonheur ne dure jamais, comme tout le monde sans doute ; et tout à coup, un vrombissement d’hélicoptère sortit miss brusquement de ses rêveries. «Mais qu’est-ce qui ce passe, quel est ce point sombre qui s’approche de la sorte, avec un tel vacarme ?» se demanda-t-elle en sursautant. «Pourvu qu’il ne vienne pas vers moi !» se dit miss inquiète. Terrifiée, elle vit s’approcher un gros bourdon velu, magnifique dans son habit brun-noir rayé cannelle et or, volant à la dérive toutes pattes dehors. Pétrifiée, elle aurait bien voulu se vite refermer et dissimuler derrière les autres, mais…au soleil…impossible, n’est-ce pas ! Paniquée, elle demeura clouée au sol. Et le voilà l’autre, droit sur elle, bourdonnant en rond de façon assourdissante ! Il la regarda, la regarda encore, et d’un dernier battement d’ailes se positionna et se laissa tomber sur la pivoine tremblante des racines à la tête, vous pensez bien. «Oh ! comme tu m’as fait peur d’arriver comme ça, dit-elle, et que tu es lourd ! Je ne pourrai jamais te supporter sur mes pétales… je suis encore trop jeune et trop fragile et trop sans expérience …j’arriverai jamais toute seule ! Et si je me casse, je vais te faire tomber et peut-être te faire très mal. Je ne me sens pas capable de te soutenir et je serais atterrée si cela arrivait » poursuivit-elle de tristesse, quelques gouttes de larmes perlant au bord de ses yeux.
Le bourdon l’observa, l’écouta sans maudire et sans bouger. Puis, d’une voix chaude et amicale : «Pardonne-moi, belle jeune pivoine, je n’ai pas du tout pensé te faire peur. Et tout le monde sait que pivoines et insectes sont de véritables amis depuis la nuit des temps, ne crois-tu pas ? Excuse-moi de m’y être mal pris. Je ne te veux aucun mal et je te remercie au contraire, de m’avoir laissé me poser. Vois-tu, j’ai fait un long voyage jusqu’ici et comme tous les grands voyageurs, je me sens trop fatigué pour continuer, mes ailes ne me portent plus. Et si je t’ai choisie – toi – parmi toutes les autres, c’est que justement j’ai bien vu, moi, que tu étais capable de m’accueillir avec tes pétales larges et bien creux qui me feront la couche fraîche parfaite pour un instant de repos embaumé de ton délicat parfum vanillé.» Et épuisé, n’ayant plus la force, il poussa un profond soupir et sombra dans le sommeil réparateur, pesant de tout son poids comme vous vous l’imaginez.
Mais la pivoine … point ne se brisa ! Au contraire : émue et surprise à la fois par les paroles dévoilantes et éclairantes qu’elle venait d’entendre ainsi que par l’état pitoyable de son hôte, elle prit la confiance en elle, creusa tout doucement encore les pétales occupés et se glissa sous le feuillage du laurier pour plus de fraîcheur. De fait, elle s’étonna d’elle-même de se trouver si capable incroyablement, ainsi que de ses nouveaux sentiments envers celui qu’elle avait considéré comme intrus et qui devenait son premier compagnon de l’air, un ami qui sait …? Comme elle se sentait forte à présent, utile… légère…heureuse… et belle aussi ! Mais déjà le dormeur se réveillait. Le voyant se préparer à reprendre son envol, elle lui murmura d’espoir : « Vas-tu revenir ? » Et le beau bourdon d’un clin d’œil lui répondit « Peut-être demain… si tu fais encore un bout de chemin. »
Et voyez ce qu’elle est devenue, grâce aussi à vous sans qui son histoire n’existerait pas aujourd’hui : BELLE , n’est-ce pas ?
(Au fait, où donc est passée miss… ?)
Et l’histoire est finie