Bouton d’or et la pieuvre du lac
©2007 James de Traz
Il était une fois, il n’y a pas si longtemps qu’on pourrait le croire, et bien moins loin qu’on voudrait le penser, une petite fille du nom de bouton d’or. Un beau jour de printemps, elle alla avec ses parents faire un pique-nique dans une clairière de la montagne du couchant. Là-haut, au milieu de la forêt de sapins éternels, se trouvait un petit lac à peine plus grand que le parc de son école. On l’appelait le lac des chansons car lorsque quelqu’un chantait au bord de l’eau, des centaines de poissons arrivaient aussitôt et sautaient de joie au-dessus des flots. Un spectacle magique pour les promeneurs. Néanmoins, rares étaient ceux qui osaient encore s’aventurer à travers cette forêt. Des légendes racontaient au village qu’elle était hantée. Les sapins égaraient ceux qui avaient osé s’y aventurer et les empêchaient de retrouver le chemin du retour.
Les parents de bouton d’or avaient donc pris soin de dérouler une grosse pelote de laine rouge pour être bien sûr de retrouver la route de leur village lorsqu’il serait temps de rentrer. En arrivant à la clairière, Bouton d’or et ses parents ne furent pas déçus. L’endroit semblait sorti d’un conte de fées. Avec ses fleurs aux parfums enivrants et ses trois rivières qui jetaient leurs eaux claires dans les reflets bleutés du petit lac, la clairière dessinait un havre de paix qui donnait envie d’y rester à jamais.
Bouton d’or et ses parents posèrent un grand drap blanc près d’un vieil arbre au bord de l’eau et installèrent leur pique-nique. Après s’être régalée de petits pains garnis et de brioches à la myrtille, Bouton d’or vit un beau papillon jaune voler à ses côtés. Il semblait lui faire signe de la suivre. Elle demanda à son père si elle pouvait aller jouer. Son père lui demanda de ne pas s’éloigner du bord du lac et Bouton d’or se leva pour suivre son nouvel ami. Après avoir batifolé pendant plus d’une demi-heure entre les arbres et ramassé des fleurs de toutes les couleurs, Bouton d’or voulu offrir son joli bouquet à sa mère. Lorsqu’elle se retourna pour revenir sur ses pas, elle réalisa qu’elle s’était éloignée et elle ne voyait plus le lac. Elle se mit à courir et se dépêcha d’aller rassurer ses parents. Mais lorsqu’elle arriva près du vieil arbre, même la nappe avait disparu. Il faut savoir que les parents de Bouton d’or étaient très pauvres et souffraient beaucoup de la savoir avoir faim. Sûrement étaient-ils allés ramasser quelques champignons pour faire des provisions et allaient bientôt revenir. Bouton d’or appela et appela encore, mais personne ne répondit. Elle attendit et attendit encore, mais personne ne revint. Elle chercha en vain la pelote de laine et finit par tenter de rentrer à pied. Mais, à chaque fois, alors qu’elle marchait pourtant en ligne droite, elle se retrouvait devant le lac. À bout de forces, elle se mit à pleurer. Elle pleura pendant une semaine entière et ne s’arrêta que lorsqu’elle n’eut plus une larme dans son corps. Comme elle était très fatiguée d’avoir tant pleuré, elle s’allongea dans l’herbe pour se reposer. Elle se sentait très lasse et bien seule. Pour se réconforter, elle fredonna la douce berceuse que sa mère lui chantait le soir pour l’endormir. Ses paupières commencèrent doucement à se fermer.
Soudain, un énorme remous souleva le lac. Bouton d’or se redressa et vit avec effroi une pieuvre géante sortir du fond du lac. C’était Cruella la sorcière. Se déplaçant à toute allure à la surface de l’eau à l’aide de ses tentacules, elle vint droit sur bouton d’or et s’arrêta juste devant elle pour la fixer de son œil unique.
– Est-ce toi qui chantais de la sorte, lui demanda-t-elle ?
– Euh, oui, répondit Bouton d’or terrifiée.
– Et que fais-tu là toute seule ?
– J’ai perdu mes parents et je n’arrive pas à retrouver mon village.
– Malheureuse, ne sais-tu pas que cette forêt est maudite ? Elle ne te laissera jamais repartir.
Bouton d’or se remit à pleurer.
– Mais je veux rentrer chez moi, fit-elle entre deux sanglots. Mes parents vont s’inquiéter.
– Tes parents ? Parce que tu crois qu’ils t’ont simplement oubliée ? Ils avaient l’air pourtant bien pressés lorsqu’ils sont partis.
Bouton d’or pleura de plus belle.
– Ecoute, je te fais une proposition. Je ne me nourris que de poissons. Mais ils ne viennent que si quelqu’un chante pour les attirer. Or je chante comme un vieux crabe. Si tu es d’accord de chanter pour moi pendant trois lunes, je te promets de te montrer le chemin du retour.
– Vous feriez ça ? demanda Bouton d’or pleine d’espoir.
– Bien sûr, comment pourrais-je ne pas aider une petite fille en détresse. La seule condition est que ton chant ne doit pas passer au-delà des arbres. Tu ne dois chanter que pour les poissons.
– D’accord, je chanterai pour attirer vos poissons.
Et bouton d’or chanta tous les soirs, pas trop fort, juste pour attirer les poissons. Elle chanta pendant une lune, pendant deux lunes, puis au bout de la troisième lune, elle dut chanter encore car Cruella avait encore faim.
Au bout de six lunes, Bouton d’or commençait à désespérer. Elle se rendait compte que la pieuvre ne la relâcherait jamais. Elle ne trouvait de réconfort qu’auprès de ses amis. Ses seuls compagnons dans cette forêt oubliée étaient de petits lapins et des écureuils qu’elle attirait aussi lorsqu’elle chantait. Ils aimaient venir l’écouter. Un jour, Bidule, le lapin le plus hardi de la bande, ramena un petit oisillon qui était tombé de son nid. Lorsque celui-ci entendit Bouton d’or chanter, il lui demanda pourquoi elle ne chantait pas aussi pour les oiseaux ? Bidule lui expliqua que la pieuvre avait interdit à Bouton d’or de chanter plus fort.
– C’est dommage, fit l’oisillon, personne ne pourra l’entendre chanter.
À ces mots, Bouton d’or compris pourquoi Cruella voulait qu’elle ne chante que pour les poissons. Il allait de soi qu’elle ne voulait pas attirer quelqu’un qui aurait pu la priver d’une découverte aussi pratique que Bouton d’or et sa voix. Bouton d’or se mit immédiatement à chanter plus fort, plus haut, plus loin. Sa voix résonna du plus profond d’elle-même. Elle laissa sortir tout ce qui sommeillait au fond d’elle, mit tout son espoir dans son chant et laissa des accords féeriques monter jusqu’au ciel. Toute la forêt s’arrêta, subjuguée par cette mélodie divine. Seule Cruella resta insensible aux accords célestes. Elle arriva, fulminante, soulevant un raz-de-marée sur son passage. Tous les animaux allèrent se cacher. Elle fondit sur Bouton d’or et la saisit avec colère dans une de ses tentacules et serra. Bouton d’or ne pouvait plus respirer.
– Que fais-tu malheureuse, tu veux ma mort ? demanda Cruella.
– Je veux rentrer chez moi, susurra Bouton d’or à la limite de perdre connaissance.
– Et puis quoi encore ? Tu n’iras nulle part. Tu m’appartiens. Et puisque tu le prends sur ce ton, je vais t’apprendre, moi, qui commande ici.
D’un bref coup de tentacule, la pieuvre scella les lèvres de Bouton d’or avec la bave d’une de ses ventouses.
– Voilà qui est mieux, dorénavant, tu murmureras tes chansons. Ça t’évitera de faire des bêtises. Et ne t’avise pas de me dire que les poissons n’entendent pas.
Bouton d’or pleura en silence et chacun rentra chez lui le cœur lourd. Les jours passèrent, les nuits aussi, dans un silence à peine dérangé par quelques vibrations qui n’allaient pas bien loin et que seuls les poissons percevaient encore.
Néanmoins, le bruit avait couru. Les oiseaux, volant vite et loin, avaient propagé à travers les contrées les plus lointaines l’histoire de cette petite fille prisonnière au fond d’une forêt et dont le chant touchait le ciel. Et les vents alizés confirmaient leur histoire en les berçant d’un écho lointain.
Un jour, un aigle royal, qui vivait sur un des plus hauts sommets du monde, fut touché par ces notes que les airs avaient portées jusqu’à lui. Il voulu savoir d’où venait cette mélodie et parti à sa rencontre. Lorsqu’il se posa au bord du lac, le chant avait cessé depuis plusieurs jours. Il découvrit Bouton d’or entrain de pleurer en silence, les lèvres scellées. L’aigle comprit que quelqu’un de très en colère habitait cette forêt et voulait empêcher Bouton d’or de chanter. Comme il connaissait tous les secrets du monde, il la libéra et l’emmena avec lui hors d’atteinte du pouvoir de Cruella. Il la ramena à son village et lui demanda de chanter tous les soirs pour les neiges éternelles où il habitait avec sa famille.
De retour chez elle, les retrouvailles avec ses parents furent les plus émouvantes que ce petit village sympathique ait connues. Ses parents lui demandèrent pardon de l’avoir abandonnée en forêt et Bouton d’or chanta pour leur montrer la voix qu’elle s’était découverte. Elle chanta si bien que, depuis, des voyageurs passent tous les jours pour venir l’écouter. Les villageois ont ainsi toujours du travail et plus personne n’a besoin d’abandonner des enfants en forêt.