Brève approche de la suggestion
Kurzer Zugang zur Suggestion
Article paru dans Primary Care 14/2002
© Auteurs Floriane et Jean-Pierre Briefer
Résumé
La suggestion est «l’action de faire naître une idée, un sentiment, un projet dans l’esprit de son interlocuteur ». Il s’agit d’un art subtil et délicat, parfois décisif dans la réussite d’un projet thérapeutique. Dans les situations où la bonne volonté et les conseils s’avèrent vains, l’hypnose et la PNL ont développé de manière particulièrement originale et systématique des techniques de suggestion plus efficaces. Les auteurs en tirent quelques enseignements pertinents pour le médecin généraliste.
Zusammenfassung
Die Suggestion, ist « eine Idee, ein Gefühl, ein Projekt im Geist seinem Gesprächspartner entstehen zu lassen ».
Es ist eine subtile und delikate Kunst, die manchmal entscheidend ist, für den Erfolg eines therapeutischen Projektes.
Wenn der gute Wille und die Ratschläge fruchtlos sind, haben Hypnose und NLP durch eine besondere originale und systematische Fassung wirksamere Vorschlagstechniken entwickelt.
Die Autoren ziehen daraus einige stichhaltige Lehren für den Allgemeinmediziner.
Introduction
Monsieur Deugros, ex-restaurateur, vient de subir son premier infarctus. Il fume, a du diabète et une hyperlipémie. A sa sortie de l’hôpital, il a rendez-vous dans quelques heures avec le docteur Ecoppey. Celui-ci va devoir lui parler de manière convaincante pour l’aider à changer son mode de vie, faire de l’exercice, manger plus sainement, arrêter de toute urgence le tabac, prendre les nombreux médicaments prescrits, venir plus régulièrement à sa consultation…etc.
Cette situation banale car vécue quotidiennement par la plupart des médecins généralistes présente un degré de difficulté au moins aussi grand que bien des exploits de la chirurgie de pointe. Quels moyens de conviction ou de «suggestion », le docteur Ecoppey a-t-il à disposition pour relever ce défi thérapeutique ? C’est ce que cet article décrit.
Donner des conseils est toujours ridicule, mais donner de bons conseils est absolument fatal. Oscar Wilde
Que sait-on de la suggestion ?
La suggestion est la deuxième grande composante de la consultation, la première étant l’écoute. Si l’importance de l’écoute dans la consultation a beaucoup été relevée, avec raison, «l’Art de la suggestion » n’est, à notre connaissance, pas enseignée dans la formation du médecin, hormis dans des domaines très spécifiques comme l’hypnose ou la PNL. Dès lors, il peut être utile de se poser la question «comment ça marche ? » ou «pourquoi cela ne marche pas, dans certaines situations ? ».
Selon la définition du dictionnaire Robert, la suggestion est «l’action de faire naître une idée, un sentiment, un projet dans l’esprit de son interlocuteur ».
• La suggestion directe : La suggestion peut être exprimée verbalement de façon directe. Il s’agit alors d’un ordre ou d’un conseil, l’un et l’autre n’étant efficaces que dans un nombre limité de situations. « La persuasion directe n’est pas une méthode efficace pour résoudre l’ambivalence » (Motivational interviewing, Miller et Rollnick, réf.1)
• La suggestion indirecte : La suggestion peut être présentée sous forme indirecte par des questions, des alternatives, des allusions, du modeling, des métaphores, le paradoxe etc. Ces techniques que nous utilisons tous sans forcément les avoir apprises, permettent de mieux faire passer le message.
• La suggestion non verbale : La suggestion a également une composante non verbale, qui est peut-être la plus importante. Ceci a trait au ton utilisé, à l’attitude physique, aux gestes des mains, à la façon de tenir son stylo et à bien d’autres signes plus ou moins conscients de notre attitude. Par exemple, un médecin qui annonce à son patient un diagnostic grave comme un cancer sera perçu très différemment selon son ton de voix, selon qu’il regarde son patient, qu’il regarde son dossier ou sa montre ou pianote sur son ordinateur.
Qui dit suggestion dit suggestibilité
Pour comprendre cette notion, faisons un voyage du côté de l’hypnose. La suggestion et la suggestibilité ont en effet été étudiées de manière presque systématique par l’hypnose depuis plus d’un siècle. L’hypnotisabilité d’un sujet ou sa suggestibilité sont pratiquement des synonymes.
Malheureusement, l’hypnose du 19ème siècle, telle qu’elle était pratiquée du temps de Messmer ou Charcot, a surtout laissé l’image fausse et très répandue que la suggestibilité et l’hypnotisabilité sont liées à une faiblesse de caractère ou, pire, à une anomalie.
L’hypnose actuelle notamment sous l’impulsion du docteur Milton H.Erickson, psychiatre américain, et la PNL (réf.2,3,4) ont complètement réformé cette vision. On sait maintenant que la suggestibilité comme l’hypnotisabilité sont communes à tous les êtres humains et sont essentiellement influencées par certains paramètres bien définis, dont nous citerons les principaux.
Qu’est ce qui va favoriser la suggestibilité ?
# La dissociation : L’angoisse ou la peur, la surprise, créent souvent des «états seconds » dans lesquels les personnes sont beaucoup plus suggestibles :
– Il est bien connu qu’un blessé aux urgences, avec des douleurs et angoissé, sera facilement dans un état de dissociation. Il sera donc beaucoup plus réceptif aux suggestions données par l’environnement, soit de panique et d’angoisse, soit au contraire de calme et de sécurité.
– Ce qui est moins connu, dans la consultation du médecin installé, c’est qu’un malade à qui on annonce un diagnostic ou une intervention graves est souvent également dans un état de dissociation. Et pour les mêmes raisons, les paroles aidantes ou au contraire inquiétantes du médecin auront un impact d’autant plus important.
– La surprise favorise aussi cette dissociation : une situation inattendue, floue ou paradoxale peut rendre n’importe qui plus suggestible du simple fait que la suggestion permet à la personne de se rattacher à quelque chose de connu ou de familier.
# La motivation : Une suggestion a plus de chances d’être acceptée lorsque :
– Elle correspond aux désirs conscients ou inconscients de la personne. Une proposition de régime chez une jeune femme amoureuse sera à coup sûr plus efficace que chez une personne qui n’a aucun désir de maigrir
– Le patient a une bonne compréhension de sa maladie
– Le médecin tient compte des bénéfices secondaires, des croyances, de la peur du changement
– La relation, la confiance, la réassurance sont présentes.
# La répétition : Une suggestion porte d’autant plus qu’elle a été répétée. Peut-être connaissez-vous des personnes qui ont entendu toute leur enfance des phrases du type : « Si tu bois froid tu vas attraper une angine » ou «Prends de l’Ovolmaltine pour devenir fort » ? Ces suggestions sont devenues tellement ancrées qu’il est tout à fait vain de vouloir leur prouver le contraire.
# L’autorité, la supériorité (subjective ou réelle) : La parole d’un directeur général, d’un prêtre, d’un médecin ou celle d’un adulte pour un enfant, a beaucoup plus de poids que celle du commun des mortels. Un ton autoritaire ou simplement bien affirmé favorise aussi l’acceptation de la suggestion.
# Certains états de conscience : comme l’état d’hypnose, la transe individuelle ou collective favoriseraient la suggestibilité.
# L’utilisation de méthodes indirectes ou non verbales : le docteur Milton H.Erickson (réf.2) racontait beaucoup d’histoires parfois vraies, souvent inventées à ses patient(e)s. Il s’agissait d’anecdotes qu’un de ses amis, un de ses patients, tel personnage célèbre ou sa grand-mère avaient vécues. L’histoire, la manière de la dire, les mots étaient bien sûr choisis en fonction de la problématique du patient(e). Il accentuait certains mots ou les «ancrait » avec une mimique ou un geste particulier comme le ferait un acteur de théâtre.
Utilisation des paramètres de suggestibilité
Après avoir décrit ces paramètres de suggestibilité, que nous propose l’hypnose ? Et bien, simplement de les utiliser !
# La dissociation : on peut utiliser les états de dissociation pour faire passer plus facilement des messages importants.
– Par exemple l’enfant qui est tétanisé de peur devant la piqûre pourra être beaucoup mieux préparé si le médecin lui dit qu’il va utiliser des aiguilles «très douces et presque invisibles » ou «on m’a dit que les enfants qui s’appellent Joël sont courageux comme des lions ». Si le ton de voix est suffisamment affirmé, la suggestibilité aidant, Joël se détendra plus facilement.
– Le patient à qui on annonce la nouvelle d’un cancer, d’une opération ou d’une maladie grave avec des mots simples, accessibles, sur un ton sincère et empathique acceptera souvent bien en même temps des conseils par rapport à la prise en charge de sa maladie, aux divers traitements ou examens à faire :
– « Et à qui allez-vous pouvoir encore parler, pour obtenir un soutien ? »
– « Ce médicament va vous aider pour supporter encore mieux le traitement »
– « Je vais faire des démarches pour que vous receviez le traitement le meilleur dans les meilleurs délais »
Eviter bien sûr ces types de phrases limitantes et négatives et pourtant entendues :
– « Je sens ça assez mal »
– « Il ne faut pas vous faire des illusions, vous ne pouvez pas récupérer »
– « Si ça dure plus de 6 mois, ça va durer toute la vie ».
# La motivation : est probablement le paramètre le plus important et en même temps le plus délicat et le plus complexe à manier. Il existe de multiples méthodes que nous enseignent les thérapies cognitivo-comportementales et les thérapies stratégiques pour renforcer la motivation et diminuer la résistance :
– Le premier principe est une bonne écoute et une compréhension du modèle du monde du patient.
– Le second est de proposer un changement à la fois, et «le plus petit possible ». Ce changement de quelques degrés aura des conséquences à long terme plus décisives qu’un changement à 360 degrés qui finalement risque de ramener la personne au point de départ !
Exemples :
– L’accro à la cigarette qui ne pense pas pouvoir arrêter, on peut lui proposer de changer de marque de cigarettes, mais une marque qui a un emballage, un goût ou un filtre le plus ressemblant possible à la marque qu’il fume actuellement ou tout changement encore plus petit qu’il est en passe d’accepter.
– La boulimique qui se précipite dans son réfrigérateur tous les soirs à 23 heures pour manger tout ce qui s’y trouve avec deux litres de lait chocolaté, on peut lui proposer de continuer en changeant une seule chose, par exemple, remplacer les deux litres de lait chocolaté par deux litres de jus de légumes…
– Le troisième est de laisser un choix au patient(e) (même si ce choix est illusoire !) ; cela lui enlève l’impression désagréable de se faire imposer quelque chose :
– « Préférez-vous prendre cet antidépresseur en comprimés ou en solution ? »
– « Préférez-vous consulter un oncologue privé ou aller à la consultation de l’hôpital ? »
L’utilisation de questions ouvertes va aussi dans le sens de laisser un choix :
– «Comment cela se passe-t-il avec les trois médicaments que je vous ai prescrits? »
# Les méthodes indirectes : lorsque les conseils ou les suggestions directes ne marchent pas, il peut être très utile d’avoir quelques solutions de rechange à disposition comme :
– L’utilisation de l’histoire d’un autre patient, d’une personne célèbre ou du personnage d’un film pour transmettre des suggestions indirectes
– Le langage de la métaphore ou du dessin qui sont souvent plus efficaces qu’un long discours explicatif
– Le questionnement est une forme de langage utile pour faire préciser le message du patient aussi bien que pour faire passer des suggestions
Les méthodes non verbales : telles que attitudes, gestes, ton de voix, mimiques. Le Prof.J.M.Bensing en a décrit quelques-unes dans les observations vidéos de consultations de médecins de premiers recours (réf.5) :
– Le contact oculaire avec le patient : relevé dans plusieurs de ces études comme un des facteurs déterminants de la relation !
– La démonstration d’intérêt : ton de la voix, position physique
– Les comportements non-spécifiques : hochements de tête et exclamations telles que «hmm ! », «bien ! »
Donner l’exemple : l’attitude du médecin qui pratique un sport ou ne fume pas, est une suggestion indirecte, non verbale, rarement citée et pourtant très puissante pour le patient.
# La répétition : Avez-vous déjà remarqué qu’une même information délivrée par divers soignants ou diverses sources a plus de chance d’être entendue et d’être efficace ?
Le patient va peut-être s’exclamer : « Ah oui, mon gynécologue (le physiothérapeute, le journal télévisé, mon voisin…) m’a dit la même chose ! », et il ne sera pas difficile à convaincre.
Une autre possibilité d’utiliser la répétition est de présenter la même suggestion de plusieurs manières. Les techniques modernes d’enseignement au patient conseillent par exemple d’expliquer les bénéfices du traitement proposé, puis les inconvénients que cela peut éviter, les différentes autres solutions qui existent, le détail des étapes à suivre, l’objectif final recherché. Elles proposent aussi d’utiliser des modèles du corps que le patient peut manipuler, des schémas, des brochures d’information (tout ceci peut bien sûr être fait dans des consultations successives).
# L’autorité ou la supériorité : dans une situation d’urgence, l’autorité, la fermeté et la directivité du médecin ont bien sûr toute leur place. Cette directivité est non seulement bien comprise du patient mais désirée.
# L’utilisation d’un langage proche de celui du patient : finalement, la suggestion sera d’autant mieux acceptée que les mots et les expressions sont familiers au patient, que l’on parle dans son canal sensoriel privilégié (auditif, visuel ou kinesthésique) et avec des métaphores proches de ses centres d’intérêt.
Conclusion
Sans être exhaustif, cet article résume les moyens de conviction les plus efficaces et les plus directement utilisables que le docteur Ecoppey a à sa disposition pour relever le défi qui l’attend dans sa prochaine consultation avec M.Deugros.
Au risque de nous répéter, nous suggérons encore une fois que «le langage » est l’outil de travail le plus important et le plus performant que le médecin ait à sa disposition (réf.6,7,8,9,10). Et nous suggérons maintenant en plus que «la suggestion » en est une des composantes essentielles.
Un des buts et une des conséquences de la suggestion est la création de nouvelles visions des choses ou le changement d’anciennes certitudes. Nous verrons dans un prochain article à quoi correspondent ces certitudes ou «croyances » dans le domaine de la santé et en quoi cette notion peut être utile dans la consultation.
Bibliographie
1. Stephen Rollnick, William R.Miller, What is Motivational Interviewing ?, Ars Medici 12 +13/96
2. J. Haley, Un thérapeute hors du commun : Milton Erickson, 1984, Ed. EPI,
3. John Grinder et Richard Bandler, TRANCE-formations, Neuro-Linguistic Programming and the structure of hypnosis, 1981, Ed.ISBN..
4. W. H. O’Hanlon et M. Martin, L’hypnose orientée vers la solution, 1995, Ed. Satas,
5. Josien M.Bensing The rôle of Affective Behaviour, Ars Medici 17/95. P.1188-1198
6. Floriane et Jean-Pierre Briefer, La Communication ou le sel de la réussite, Ars Medici 8/97
7. Floriane et Jean-Pierre Briefer, Le langage, Ars Medici 10/97
8. Floriane et Jean-Pierre Briefer, Pathologie, identité et langage, Ars Medici 9/98
9. Floriane et Jean-Pierre Briefer, Hippocrate souffrait-il de burnout ? , Ars Medici 99
10. Jean-Pierre Briefer, Le plus court chemin pour aller vers votre patient passe par sa métaphore, Ars Medici 16/99