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Là où le regard est plus important que l’écoute

Là où le regard est plus important que l’écoute

© Auteurs Jean-Pierre Briefer
Article paru dans Ars Medici 11/97

C’est lorsqu’on « manque d’eau, qu’on apprécie ce que c’est que l’eau » et c’est lorsqu’on manque de communication comme les malentendants, qu’on en apprécie la valeur…

Vous avez tous, j’en suis sûr, été confrontés à des personnes sourdes, dans votre entourage ou parmi votre clientèle. Et vous en avez peut-être déjà une certaine expérience.

Je voudrais vous parler d’une rencontre que j’ai faite avec le problème des malentendants grâce à une patiente et à sa fille, toutes deux atteintes d’une surdité héréditaire.

Elles ne m’ont ni l’une ni l’autre annoncé leur handicap lors des premières consultations il y a environ 5 ans.

Je ne peux pas dire que j’avais une bonne communication avec la mère. Chaque fois qu’elle venait, elle parlait beaucoup et assez précipitamment et j’avais beaucoup de peine pour l’interrompre et lui poser les questions qui me paraissaient importantes.

Dès que j’ai su que l’une et l’autre étaient malentendantes, j’ai fait attention de parler assez fort et de répéter les questions, si visiblement elles répondaient à côté, car vous l’avez peut-être déjà remarqué, les malentendants ne demandent jamais de répéter comme pour cacher leur handicap. J’ai progressivement réalisé que je devais me mettre bien en face, assez proche et avec suffisamment de lumière pour permettre la lecture labiale.

A ce jour, la relation s’est nettement améliorée et elles sont toutes deux devenues des patientes régulières.

Lors de la dernière consultation la mère m’a apporté un texte qui s’appelle ” Mal entendre, mais bien s’entendre”. C’était évidemment un message, un clin d’œil. Il s’agissait d’une conférence donnée par la secrétaire générale des Associations de Devenus-Sourds et malentendants, Mme F.Queruel.

Et j’y ai relevé des citations superbes :

– “Communiquer, c’est quoi ? Faire passer un message certes, mais pas seulement… c’est aussi le plaisir d’entendre sa voix ; c’est aussi et surtout s’adresser à quelqu’un d’autre, lui dire quelque chose, trouver les mots, les agencer, les lancer, qu’ils correspondent aux sentiments, qu’ils entraînent la pensée, la mettent en route à la rencontre de celle d’autrui… c’est ” faire musique ensemble”… toutes ces paroles qui coulent, c’est comme de l’eau… et moi je manque d’eau”… mais tout ce qui vous apparaît “pas important” à vous entendants, tout le léger, le fugace, l’impalpable, les nuances de la voix , tout ce qui fait la richesse de la conversation, cela nous échappe désormais”.

Et un message plus positif, je cite :

– “Le réapprentissage de la communication… par la lecture labiale, notre mode privilégié de communication ! – mais aussi par tout ce qui l’entoure : les expressions du visage, la “communication non verbale”, une connaissance qu’on acquiert inconsciemment du “style parlé” de son interlocuteur…une certaine sensibilité aux ambiances qui se développe – un peu comme les bébés qui ne comprennent pas encore le langage, mais qui sentent très bien si les gens sont heureux ou malheureux.”

C’est lorsqu’on “manque d’eau, qu’on apprécie ce que c’est que l’eau” et c’est lorsqu’on manque de communication comme les malentendants, qu’on en apprécie la valeur… J’en ai conclu que je ne voulais pas attendre de devenir sourd pour la découvrir. Et j’ai appris qu’en développant mon acuité sensorielle et en devenant conscient de toute la richesse des messages verbaux et non verbaux transmis lors d’un partage, je pouvais développer cette présence à l’autre.

Auteur :

Dr J-P. Briefer, médecin généraliste FMH
E-mail: jpbriefer@iprolink.ch

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