La pierre Philosophale
©2007 Christiane Marinoni
Jadis, à une époque où être preux chevalier tenait lieu de réussite et de perfection, vivait Natur’Opattes, avec son armure flamboyante, lustrée chaque jour avec soin et respect, si brillante qu’elle servait de miroir. On l’avait surnommé ainsi à cause de ses deux grandes perches en guise de jambes et de son intérêt de toujours pour les plantes. En effet, au berceau déjà, une fleur de lys servait à calmer ses angoisses. Dans son armure mal ajustée, toujours impeccable mais si peu élégant, Natur’Opattes dénotait lorsque, rempli de courage et de témérité, il s’essayait à parader dans la cour du château.
Flanqué de deux acolytes, forts et impressionnants, taillés pour faire battre en retraite une armée tout entière, Natur’Opattes, non conscient de sa différence, coulaient des jours heureux dans la contrée de Boulot. À cette époque poussaient de magnifiques arbres aux troncs blancs et noirs, si beaux qu’un roi décida, modestement, de leur donner le nom de sa ville, en rectifiant simplement l’orthographe pour les appeler les bouleaux.
Entre croisades et séances de polissage de son armure, Natur’Opattes aimait à rendre visite à ses amis les sorciers des bois. Il le faisait en cachette, de peur d’attirer les moqueries de ses compagnons de route.
Vêtus modestement, habitant de simples cabanes cachées dans les feuillages, ces sorciers, les Terre-à-Peutes, attisaient la critique et l’incrédulité.
La critique, car ces Terre-à-Peutes se contentaient de peu. Ils se nourrissaient de baies, d’herbes folles et buvaient l’eau claire des ruisseaux. Nul besoin de beuveries ni d’orgies pour eux, ils montraient des visages souriants, bienveillants et heureux. Et l’incrédulité, car n’avaient-ils pas sauvé, in extremis, quelques pucelles et jouvenceaux, vieux sages et courtisans que nulle médicine légale n’avait secourus ?
Natur’Opattes rêvait depuis longtemps qu’un jour il serait à son tour Terre-à-Peute capable de soigner plaies, furoncles, « mal-à-dit », peste et autres plaies du corps et de l’âme, grâce à la nature et aux merveilles qu’elle recèle. Il se savait, au plus profond de son corps et de son âme, voué depuis sa naissance à une destinée liée aux autres dans une dynamique de soins, de recherche de mieux-être et de partage.
Pour cela, il devait apprendre encore et encore, passer des nuits sans sommeil à observer les plantes, à écouter et suivre les connaissances des anciens, son esprit se remplissant années après années de ces savants apprentissages.
Une nuit de pleine lune, Natur’Opattes sortit en cachette consulter ses amis les sorciers, sans s’apercevoir que deux ombres imposantes le suivaient. Plein d’entrain, il s’enfonça dans la forêt profonde pour rejoindre ses maîtres et écouter leurs savants enseignements. Serré de près par les deux ombres silencieuses, mot de passe et chemins secrets furent ainsi dévoilés à son insu.
Hélas! Trois fois, mille fois, hélas! Dès le lendemain une bataille fut livrée au sein de la forêt, nombre de Terre à Peutes trouvèrent une mort violente, douloureuse et tellement injuste.
Natur’Opattes, seul contre tous, fut épargné eu égard à sa noble naissance.
Désolation, désolation et incompréhension. Abandonné de tous, excepté d’Homéo-Pathie, l’idiot de la contrée, tous deux seuls, sans Boulot, sans famille ni amis, Natur’Opattes décida de vaincre le mauvais sort, l’adversité, la poisse, peu importe le nom, et choisit de prouver à tous et au monde entier que sa raison de vivre les sauverait tous.
Après des années d’apprentissage, de réflexion, de questionnements, allant, vêtu modestement, toujours flanqué d’Homéo-Pathie, peut-être trop en avance sur son temps, Natur’Opattes allait de villages en villages, offrant à qui voulait la guérison, les bons conseils, le soulagement ou le simple accompagnement de l’esprit.
Lors d’une nuit noire et muette éclairée mille étoiles, Natur’Opattes, allongé près d’un puits se sentit inexorablement attiré vers lui. Il s’y pencha, pour scruter le fond insondable, accompagné du reflet des étoiles, ses confidentes. C’est alors qu’apparut une lumière opaline, étrange, sans précédent. Natur’Opattes saisit le seau qui se balançait au-dessus de sa tête, le laissa descendre lentement jusqu’à toucher, avec un bruit inconnu, la tâche de lumière. Avec habileté, il essaya de la mettre dans le seau. Soudain le seau s’alourdit et, sachant qu’il avait réussi, remonta cette chose mystérieuse. Et là, Natur’Opattes découvrit, dans le fond du récipient, ce que jamais, même dans ses rêves les plus fous, il n’aurait espéré. Il saisit, avec la plus grande délicatesse possible, une pierre blanche, si blanche, ronde, douce et lisse, si lisse et froide, si froide… D’instinct, il sut que cette pierre magique, incroyablement belle, était la Pierre Philosophale, symbole merveilleux de sagesse et de connaissance.
Natur’Opattes devint célèbre dans le monde entier. Accompagné de son fidèle ami, Homéo-Pathie, il prodigua soins et conseils aux plus grands de la planète et aux plus petits, pour lesquels il avait une tendresse toute particulière. Ses écrits restent encore aujourd’hui des ouvrages de référence et son nom est gravé depuis des siècles à l’entrée des forêts du monde entier. On dit que son âme aime y errer, de-ci, de là…
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