Pathologie, identité et langage:
© Auteurs Floriane et Jean-Pierre Briefer
(Ars Medici 09/98 Pathologie, Identité et Langage)
Evitons le langage étiquettes utilisons un langage valorisant !
Faites-vous une différence entre avoir un cancer et être cancéreux ?
Avoir le Sida et être sidéen ?
Aviez-vous remarqué comme plus une maladie est chronique, menaçante, nécessite un traitement lourd, plus les mots dont nous disposons pour la nommer ont tendance à s’approprier de l’identité du patient ?
Les problèmes de santé concernent l’individu au niveau de son environnement, ils influencent son comportement, ses capacités, ses vérités intimes. Ils peuvent même devenir une nouvelle “identité “. Malheureusement, beaucoup de patients “s’identifient ” à leur maladie, à leur cancer, à leur SIDA, à leur diabète, à leur hémiplégie…. Les structures linguistiques et nos habitudes langagières les y aidant !
Et qu’est-ce que cela change nous direz-vous ? ” Et puis, attention : le déni de la maladie c’est grave. Le malade risque de ne plus vouloir se soigner, refuse complètement toute prise en charge, il se laisse peut-être même mourir. “.
Bien sûr que le patient ne peut pas et ne doit pas rester dans le déni. Il ne s’agit pas de cela. N’est-il pas avant tout un homme ou une femme ?
Curieusement nous pouvons dire : un sidéen, un cancéreux, un diabétique, mais nous ne parlons pas d’un “otiteux “, d’une “cystiteuse ” ou d’un “hépatitique ” ! Le langage donne corps à certaines visions de la réalité en les figeant. Et c’est au moment où nos patients parlent de leur situation dans nos cabinets, qu’ils commencent à fixer leurs idées sur la nature et la gravité de leurs pathologies. Nous vous proposons ici une réflexion sur les étiquettes utilisées en médecine et qui ” gèlent ” le patient dans sa maladie. Nous vous invitons à préférer certaines formulations ayant pour objectif l’utilisation attentive et libératrice du langage. Il s’agit d’une méthode conversationnelle favorisant la création de contextes dans lesquels le patient puisse devenir l’acteur de son traitement.
Laissez-nous vous poser une question :
” Qui êtes-vous ? “
Peut-être êtes-vous médecin, infirmier, assistant, père ou mère de famille, fils ou fille, cavalier, danseur, ou époux… autant de nominalisations exprimant votre identité, votre raison d’être, la perception que vous avez de vous. Remarquez-vous combien il est agréable de porter certaines nominalisations, alors que d’autres sont moins plaisantes, voire limitantes ? Car d’une affirmation, peut découler la confiance en soi !
Imaginez un instant qu’un ami vous dise : ” Je suis accidenté ! “. Quelle représentation mentale vous faites-vous de cette phrase, ne porte-t-elle pas encore la vision et/ou le bruit du choc de l’accident ? Et s’il vous avait dit : ” J’ai eu un accident, j’ai le bras dans le plâtre ! “. Pour vous est-ce que ces deux affirmations se situent au même niveau de langage ?
Epistémologie de notre démarche :
Il existe des hiérarchies naturelles d’expériences, dans la structure de notre cerveau, de notre langage, de nos systèmes perceptifs. Quelqu’un peut par exemple dire qu’une expérience était négative à un niveau et positive à un autre. A. Korzybski a illustré ceci en parlant de ” La carte n’est pas le territoire ” et en mettant en évidence la distinction entre le mot et la chose qu’il représente. Il a aussi démontré que la non connaissance de ces niveaux d’abstraction était une des principales sources de confusion mentale. Puis, Gregory Bateson a identifié quatre niveaux fondamentaux d’apprentissage et de changement. Plus tard, Robert Dilts a développé à partir de ces travaux et de ceux d’autres membres de l’école de Palo Alto, un modèle des niveaux logiques de la pensée et leur mécanisme. Le premier niveau est celui de l’Environnement. Nous agissons dans cet environnement au moyen de nos Comportements, lesquels découlent de nos Capacités, l’ensemble de nos savoir-faire. Nos capacités sont guidées par nos cartes mentales, nos stratégies. Ces attitudes sont organisées autour de nos Croyances et Valeurs. L’Identité déterminant le rôle global de l’individu, sa mission. L’identité est en lien avec qui nous sommes, le sens de notre existence. C’est aussi ce qui reste identique, ce qui ne change pas !
Michael White (Australie), en développant la thérapie narrative, a proposé d’externaliser la maladie, le problème de la personne, afin que le patient puisse reprendre contact avec sa partie saine ! Il propose ainsi d’enlever le pouvoir de la maladie sur l’être humain afin que celui-ci retrouve une identité plus fonctionnelle, saine et valorisante.
Pensons un instant à l’hémiplégique ! Qui est-il, comment vous le représentez-vous ? Il a un côté plégique…mais n’a-t-il pas aussi un côté mobile ? Quelle serait la façon la plus pertinente de le nommer ? Ce qui paraît évident pour une otite, une cystite ou une hépatite devrait l’être pour les maladies plus graves ou chroniques. Nous pensons sincèrement que dans le cas de pathologies graves ces nominalisations ont une influence limitante sur la personne en la définissant ! Dès lors, soyons vigilants, il ou elle n’est pas un sidéen, un cancéreux, un diabétique… mais il a le Sida, il a un cancer, il a un diabète et cela fait une différence fondamentale !
Janet Konefall, psychiatre et thérapeute en Programmation Neuro-Linguistique a observé que beaucoup de porteurs du SIDA considéraient consciemment ou implicitement que le virus faisait partie d’eux-mêmes, alors que les “long term survivors ” ne s’identifiaient pas à leur maladie. Suite à ces observations, elle a développé des techniques pour permettre aux patients de se dissocier du virus, c’est-à-dire de leurs faire prendre conscience qu’ils ne sont pas sidéens, mais qu’ils ont contacté le virus du sida, un virus extérieur à leur corps.
Tiré de notre expérience, M.Y, un patient porteur du virus du SIDA à un stade avancé a été très intéressé par cette nouvelle approche de sa maladie. Dès les premières séances, nous l’avons aidé à se dissocier de son virus. Son organisme porte un virus, mais il, en tant que personne, n’est pas le virus… Alors qu’il souffrait d’infections respiratoires récidivantes depuis plusieurs années, il est étonnant qu’il n’a plus eu recours aux antibiotiques depuis de nombreux mois. Il n’a pas eu non plus de nouvelles infections depuis environ 1 année et demi. Même si sa maladie est toujours présente, même s’il doit continuer à prendre des médicaments antiviraux et à faire des contrôles, nous avons pu observer un changement radical chez cet homme. Il a acquis sérénité et calme. Et si par chance il arrive à survivre à sa maladie, il n’aura probablement pas de difficultés à s’adapter à sa nouvelle “identité ” celle ” d’homme guéri “. N’oublions pas d’ailleurs que nos patients porteurs du virus du SIDA sont potentiellement guérissables avec les traitements actuellement en développement. Cette éventualité aussi nécessite une préparation psychologique !
Plusieurs de nos stagiaires utilisent actuellement cette technique conversationnelle, notamment des physiothérapeutes et des internistes. Leur première réaction en la découvrant a été un grand étonnement dans la simplicité de la démarche par rapport à son efficacité ! Ils nous ont relaté qu’ils faisaient particulièrement attention maintenant aux formulations utilisées afin d’ouvrir un espace de soin et de guérison où le patient devient beaucoup plus actif.
Alors, si cette idée vous convainc ou vous tente, nous vous suggérons dans un premier temps d’user plus souvent du verbe avoir et de garder le verbe être pour suggérer ou renforcer le niveau de l’identité avec des ressources porteuses de confiance et de vitalité.
Auteurs
Floriane Briefer, formatrice en PNL, membre de l’Association Internationale des Formateurs en PNL.
Dr, Jean-Pierre Briefer, généraliste FMH
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