Sineba la Taupilionne
© 1999 Annick Goeke
Il était une fois dans la campagne de Cylény, un petit étang autour duquel tout une petite communauté se réveillait. Le soleil pointait son nez sur la crête des montagnes, les oiseaux se disputaient leur petit déjeuner et les grillons s’en allaient se reposer de leur opéra nocturne.
Comme vous le savez bien, dans les campagnes, il y a de multiples petits habitants qui arpentent les hautes herbes, les bords des étangs et… les sous-sols.
Au bord de l’étang de Cylény, vivait une petite lionne nommée Sineba. Vous ne le saviez pas et c’est bien normal, parce que Sineba était particulière, elle vivait sous terre, dans les galeries de ses amies les taupes.
Comme toutes les taupes, Sineba se nourissait de tout ce que lui offraient les sous-sols. Vous voyez ce que je veux dire, n’est-ce pas?
Ce printemps-là, Sineba se sentait de plus en plus à l’étroit dans les galeries de son amie Taupinette. Les tunnels lui frottaient sa jolie petite fourrure et la terre s’accrochait à chacune de ses griffes. Sineba manquait d’air, elle étouffait.
Elle décida alors de se confier à ses amies les habitants des galeries. En chemin, elle rencontra Taupinette et lui fit part de ses inconforts de la vie sous terre. La taupe ne compris rien de tout ça, elle pensait qu’il y avait tout pour être heureuse ici bas: il y avait de la nourriture en abondance et la sécurité assurée. Taupinette la prévint de la lumière du monde externe: ” une fois, la plus ancienne des taupes est allée sur terre et la boule de feux du ciel l’a rendue aveugle à tout jamais. C’est pourquoi dès ce jour toute sa descendance est devenue aveugle…”
Sineba pris en considération les propos de Taupinette. Elle devait avoir raison parce qu’elle était plus âgée et donc plus sage… Sineba n’avait pas appris à voir puisqu’elle avait été privée de lumière depuis toute petite et personne ne lui avait fait remarquer qu’elle n’était point une taupe.
Elle quitta Taupinette et rencontra la communauté des cailloux. Elle décida de se confier à ces derniers. “Mon dieu, dirent les cailloux d’un ton presque moqueur, sortir de la terre, une taupe comme toi n’a rien à faire dehors, mais qu’est-ce que tu crois, ma pauvre! Sais-tu ce que les humains font des cailloux? Ils nous prennent, nous cassent et en font des maisons! Toi qui est si maline tu devrais le savoir. La vie sur terre est dangereuse, elle est à craindre, crois-moi, parole de cailloux!”
Sineba se sentit toute ramassée sur elle-même, toute dense, toute lourde, toute honteuse d’avoir pu penser à cela une seule seconde. Mais cependant, elle restait là, incapable de prendre une décision. Elle avait besoin de place, elle avait besoin de grandir, elle avait besoin de luster son poil tout défraîchit. Sineba ne savait plus quoi faire.
Elle décida de vite rentrer chez elle, afin de pleurer en paix sur son triste état, quand elle écorcha malencontreusement sur son chemin les racines d’un bulbe. Le bulbe, fâché, attrappa une patte arrière de Sineba avec ses racines et la réprimenda: “Hé, là! Tu ne vois donc pas que tu n’a rien à faire sous terre, tu abîmes les sous-sols avec tes grosses griffes!
– Mais qui es-tu le bulbe? demanda Sineba.
– (Sur un ton hautain et snob) Qu’elle question! Je suis un Arum, un bel Arum, hem…, un grand Arum. Je vis à l’extérieur sur terre, tout en puisant dans le sol de quoi m’embellir chaque jour! Mais toi, tu es… une… lionne, il me semble, si mes yeux sont encore bons! Que fais-tu donc sous terre? N’as-tu jamais vu ce que les lionnes font sur terre? Elles marchent félinement, elles savent sétirer sur toute leur longueur et devenir aussi fine que mon cou, sans toute fois l’égaler…!!! Hé, hé!.. Leurs poils sont dorés et brillants, leurs griffes sont blanches et taillées, tandis que toi tu fais une peu peur à voir… bla, bla, bla,…”
Sineba qui avait cru jusque là qu’il fût normal de vivre dans ce lieu, compris maintenant pourquoi elle se sentait autant à l’étroit: elle grandissait. Le discours de Arum suscita beaucoup de curiosité chez Sineba. Et si c’était vrai? Si elle n’était pas une taupe mais une lionne… Pourtant elle avait une fourrure, des griffes et était myope comme une taupe! Mais elle se sentait être surdimensionnée pour ces galeries qui rétrecissaient chaque jour.
Sinba désirait ouvrir les yeux pour voir le monde tel que Arum le décrivait et rejoindre ceux qu’elle savait inconsciemment être les siens, les grosses taupes de dessus terre, les lionnes quoi!
Il est maintenant le temps pour Sineba de faire un choix. Elle ne peut physiquement rester sous terre sans abîmer les sous sols et déranger ses habitants, mais c’est la seule chose qu’elle connaît… Ecoutera-t-elle le bel Arum, cet élégant Arum, celui qui voit le monde de son jaune pistil? Il sera important pour Sineba de comprendre ce qui est bon pour elle et ce qu’elle désire vraiment. “Sineba, de quoi as-tu envie?”