Voyage au cœur de l’Afrique
© 2000 Croset-Odermatt Muriel
En automne l’année dernière, alors que les arbres jaunissaient dans la forêt très proche, que les souris s’activaient à faire des provisions pour l’hiver rigoureux qui approchait, je décidais de prolonger cet été si court et de retrouver un climat plus doux en Afrique.
Arrivée à Pitersburg, en Afrique du Sud, je me laissais conduire à moitié somnolente dans une superbe limousine. Tout au long du trajet, le chauffeur, un homme un peu magique, me raconta une histoire, dont voici le récit.
C’était à la même époque l’an dernier, il empruntait la route habituelle, et soudain, il se trouva devant un troupeau de gazelles. Elles étaient là, tranquilles, insouciantes et tellement gracieuses. Elles semblaient tenir une réunion très importante, malgré le silence qui les entourait. Le chauffeur n’eut pas le courage de les déranger et décida d’emprunter une autre route, dont il avait entendu parler. Il se retrouva bientôt devant la pierre, à la croisée de trois chemins. Il ne savait plus lequel choisir. Il s’arrêta et sortit de son véhicule. Il fit deux pas et contourna la pierre. A sa grande surprise, il se trouva face à face avec un sculpteur qui taillait la pierre :
– Bonsoir Monsieur !
– Bonjour !
– Pouvez-vous m’aider ?
– Que cherchez-vous ?
– Mon chemin
– Quel chemin ?
– Celui qui mène à la ville
– De quelle ville parlez-vous ?
Le chauffeur était perplexe, il n’y avait pas des milliers de ville dans les environs. Alors il pensa, je vais lui demander ce qu’il fait. Il s’approcha donc du sculpteur et regarda la pierre. Il s’aperçut rapidement que la matière était très tendre et qu’elle se fissurait à chaque coup de marteau. A certains endroits de petites taches noires bougeaient. Il s’approcha encore et découvrit de petits insectes qui s’étaient mis à l’abri du vent et du froid, car la nuit était tombée.
Il essaya à nouveau de reprendre la conversation avec le sculpteur :
– Que faites-vous ?
– Je sculpte, vous le voyez bien !
Et plus de réponse. Fatigué, le chauffeur s’installa sous un arbre dont la mousse avait l’apparence d’un cœur. Il s’endormit au rythme des coups de marteau que le sculpteur donnait avec vigueur. Soudain, il fut réveillé par le premier rayon de soleil. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant devant lui, une gazelle, seule, un peu triste qui la regardait. Elle s’était perdue à force de chercher les pousses des arbres les plus tendres. Le chauffeur fut tout à coup attiré par un bruit ; c’était le sculpteur qui sanglotait. La pierre s’était brisée et son rêve envolé. Il voulait tellement sculpter un cœur qui aurait indiqué les trois directions ! Cela n’était plus possible.
Le chauffeur s’approcha de lui et lui demanda :
– Vous connaissez peut-être les habitudes du troupeau de gazelles ?
– Bien sûr ! C’est en parlant lors de notre dernière réunion, qu’elles m’ont demandé de sculpter la pierre ! C’est terrible ce qui m’arrive, je n’ai plus rien à sculpter pour demain ! Que vais-je donc faire ?
– Si vous me permettez, si j’ose, enfin si vous le voulez bien, vous pourriez avoir l’obligeance de raccompagner la demoiselle gazelle, ici présente !
Le visage du sculpteur s’illumina et sans répondre, il se leva d’un bond, se dirigea vers la gazelle. Un seul regard fut nécessaire, et ils prirent tous les deux le chemin qui leur permettrait de rejoindre le troupeau. Le chauffeur put ainsi déduire qu’elle était la route qu’il devait prendre. Il s’attarda encore un instant et regarda la pierre. A ce moment même le soleil fit un bond dans le ciel, et des milliers de rayons éclairaient maintenant la pierre. On pouvait voir un énorme cœur aux couleurs de l’arc-en-ciel.
Le chauffeur ébloui mit quelques secondes à réagir. Mais trop tard, la gazelle et le sculpteur étaient déjà trop loin.
Il ramassa ses affaires et reprit la bonne route qui le ramena en ville. Nous étions arrivés devant l’hôtel, il souriait, et je le remerciais. C’est ainsi que je fis connaissance avec ce pays merveilleux.