Zébron
© 1996 Catherine Karcher Faval
Il y a bien longtemps, un petit zèbre était né dans un grand troupeau. Lorsque sa mère Mira avait mis bas, le fait que le pelage de son rejeton fut inhabituel, avait entraîné chez elle un très grand élan de tendresse. Tous ses petits précédents étaient rayés comme tous les zèbres. Tandis que lui, on aurait pu croire que ses couleurs s’étaient rassemblées. Ses poils étaient clairs et soyeux du bout de son museau jusqu’à son thorax ainsi que ses pattes avant, alors que toute la partie arrière de son corps était sombre. Ses deux oreilles, curieusement, avaient hérité du côté foncé et se détachaient, mobiles et rieuses, au confluent du chemin de son museau et de sa crinière.
Mira disait à qui voulait l’entendre qu’il y en aurait qui seraient surpris. Ce qui avait eu pour effet de déclencher la curiosité de chacun. Bien vite, le premier visiteur, un grand diable de chameau, se présenta à la porte de l’étable : ” Je dois voir cet étrange zébron ” dit-il. “Personne n’en a jamais vu un comme ça ! C’est comme si ses rayures étaient parties à la rencontre les unes des autres. Ouais, c’est bizarre, il faut croire que ça devait arriver “. Il ajouta : ” Comme il sera présenté à la communauté, il découvrira ce que signifie l’acceptation par les autres. Mais il est encore bien jeune et il aura encore le temps de préparer cet événement. D’ici-là….
Le grand diable de chameau se retira.
Puis vint un deuxième visiteur. C’était un arbre, un sapin aux branches duquel des boules jaunes comme le soleil et des étoiles étaient suspendues. Il se déplaçait en tournant sur lui-même et en emportant ses racines avec lui. Un léger tintement le précédait.
– “Tiens, voilà l’arbre” dit Mira, en entendant le son cristallin des boules et des étoiles qui s’entrechoquaient doucement. Le petit zèbre se mit à caracoler de joie. Il se réjouissait beaucoup de connaître ce nouvel arrivant. Il avait tellement de gaieté et d’enthousiasme qu’il avait vraiment envie de les partager. Depuis sa naissance sa maman l’avait chaque jour beaucoup cajolé, elle lui apprenait tout ce qu’une maman apprend à son petit et il aimait beaucoup ça. Mais maintenant il se rendait compte qu’il devait apprendre à se débrouiller tout seul. Mira qui savait ce que pensait son petit caracoleur, lui dit : ” Tu aimerais sortir pour aller voir l’arbre, n’est-ce pas ? Et bien vas-y ! Caracole !”
L’arbre dont les longues branches ondulaient au rythme de son avancement, avait entendu Mira. Il vit cet étrange jeune zébron sortir en trombe de l’étable et il lui dit :
– ” Bonjour Caracole ! Tu m’as l’air bien guilleret “.
– “Oh oui”, dit-il, ” mais pourquoi m’appelez-vous comme ça ? “.
– “Parce que moi, vois-tu, j’appelle ceux qui m’entourent du nom qu’ils m’inspirent. Comme ça, ils savent comment je les vois. C’est très enrichissant, tu ne trouves pas ? “.
– “Si, Si”, répondit Caracole, étonné que le sapin ne l’ait pas appelé ” dérayé “, ” bicoloré ” ou allez savoir !
Et le sapin reprit : “C’est ta première sortie, si j’ai bien compris. Il est vrai que tu as l’air d’apprendre très vite les nouvelles choses. Mira, ta maman, peut te laisser découvrir le monde en toute tranquillité. Si tu veux, nous pouvons faire un bout de chemin ensemble”.
– “Ouais, ce serait super “, répondit enthousiaste Caracole. “Maman, Maman, je vais faire un tour avec le sapin avant le dîner, à tout à l’heure ! “.
Il fit donc sa première vraie promenade de zèbre indépendant en compagnie du sapin de Noël. Il rencontra plein de monde. Il regardait avec curiosité tout ce qui l’entourait et se réjouissait de tant de nouveautés. Tout, autour de lui, au-dessus, au-dessous, tout semblait l’englober. Il ne comprenait pas très bien ce qui se passait mais cela n’avait pas vraiment d’importance. Ce qu’il ressentait était plus important que le reste. De plus, personne, absolument personne, n’avait fait de remarque concernant son pelage.
Il pouvait donc s’accepter tel quel sans devoir passer par le peintre en rayures, comme il se l’était imaginé. Et du reste, le sapin ne l’avait-il pas appellé Caracole et non pas un sobriquet stupide et méchant. Mais tiens, à propos, où était donc passé le sapin de Noël ? Il regarda tout autour de lui. Rien. Quelle ne fut pas sa surprise quant en levant les yeux, il vit le sapin s’éloigner dans les airs tenant par la main un personnage. Mais qu’était-ce donc ? Qui était-ce ? Il était tout dodu, avec un ventre proéminent, plus un poil sur le crâne et oh chose curieuse, il avait des plumes dans le dos.
– “C’est probablement ce qui lui permet de voler”, se dit Caracole. “Eh, là-haut, ne vous en allez pas comme ça. Comment vais-je faire pour retrouver mon chemin tout seul ? “.
– “Ne t’en fais pas”, lui dit le sapin, “aie confiance en toi. Crois en ta bonne étoile, elle te guide et te protège”, et le sapin disparut derrière la montagne, toujours accompagné de son étrange Boudange. Caracole restait là, interloqué.
Puis tout à coup il se dit : “Oh et zut. Je suis certain que si j’écoute mon cœur, comme le sapin me l’a proposé, je vais retrouver le chemin de mon étable”.
Et c’est en effet ce qui se passa.